Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
des mots et des lettres, les mots-désirs, belles lettres
des mots et des lettres, les mots-désirs, belles lettres
2 mai 2020

Histoire Corse

Ce devait être au siècle dernier.
Mais la mémoire est parfois tellement volatile.
Il n'était jamais allé en Corse.
Il s'y rendit pour y tenir une masterclass, à l'invitation des affaires culturelles.
Il se souvient des visites qu'on lui fit faire, découvrant des paysages insoupçonnés.
Il se souvient d'épisodes émouvants qui le surprirent.

Elle marche le long de la plage et sa voix la suit à la trace. Elle s'enroule autour de ses pas, entrave sa démarche.

Le sable qui crisse lui rappelle les jours heureux, ce merveilleux mois de mai qu'il aimait tant lui chanter.

Im wunderschönen Monatmai
Aujourd'hui la mer est sans vagues et les mots qu'il lui a écrits restent à la surface de l'eau.
La mer lave les maux de tous les hommes ( Euripide )

 

vieille ville

Et les mots ? Qu'en est-il des mots ? Ceux qu'il lui écrivait, ceux qu'il lui disait et qu'elle répétait tous les soirs pendant qu'elle enduisait son corps d'huile parfumée, comme il le lui avait appris.
Chacun de ses effluves ambrés, fleuris, boisés lui parlait de lui et elle s'endormait dans les bras de son absence.
Le matin, le réveil l'extirpait des rêves habités par lui, rêves qui, souvent, avaient laissé des traces sur ses draps, sur ses doigts qu'elle humait douloureusement.
Im wunderschönen Monatmai. Janvier c'était mai, et février, et mars, avril, juin, juillet août et septembre.
Tous les mois de l'année étaient mai.
Le temps, ce merveilleux antalgique, panse les blessures les plus profondes.

LE TEMPS D'UN AMOUR

Fragile, surprenante, paradoxale, sentimentale, enfantine, dévergondée, elle est arrivée dans sa vie avec la grâce à durée déterminée d'une parenthèse.
Il l'appelait sa petite pute d'amour. Il interrompt le fil de ses pensées, y enchâsse un souvenir bleu nuit, poursuit ses digressions mentales du matin, aussi vives qu'une bagatelle.
Aujourd'hui, elle repense qu'elle désirait tant devenir sa petite salope cinq étoiles luxe, elle le serait resté le temps d'un amour.
Quelques jours plus tard, quelques désirs plus tard, l'année dernière ou celle à venir, ils se quitteront sans bruit et la parenthèse de cette histoire érotico-sentimentale se refermera aussi vite qu'elle s'est ouverte, enchâssée et vaine au milieu des souvenirs.

Le temps change vite en Corse. Plus vite encore que les inclinations humaines.

sanguinaires

Le tour de l'île. Le tour d'il et d'elle.
Les îles Sanguinaires, perpétuellement frappées par la mer en colère.
Fleurs de soie sur la peau de l'eau verte.
Les vagues ont la chair de poule.
Des bulles de crépuscule éclatent sur la mer comme des secrets avortés.

C'était donc à elle, à cette femme timide et un peu gauche, aux gestes d'oiseau blessé et aux yeux de biche effarée, qu'il avait dit :

« Vous êtes l'absolu féminin.
J'aime votre retenue et l'exquise expression de la pudeur troublée... »
Des flocons de désir s'envolent d'elle à lui, autour d'eux et du silence. Elle, lui et le silence, lui à l'intérieur de son silence.

Son désir de lui, en équilibre instable entre l'ombre et la lumière, rythme les pas qui la conduisent vers lui, jusqu'au bord du précipice, puis l'éloignent de lui pour éviter la chute.

Ils s'étaient sans doute aimés, désirés, détestés, séparés, retrouvés, éloignés.
Seuls ensemble, ils partageaient les mêmes doutes, leurs corps vibraient en choeur,
leurs yeux se détournaient ensemble quand les couleurs trop criardes du monde alentour les blessaient, leurs oreilles se bouchaient ensemble quand les bruits trop assourdissants les empêchaient d'entendre.

1pt

« Irisés étaient vos yeux, mon amour, et pleins de doutes. Voyez-vous (même mort, êtes-vous mort ? je sais que vous me voyez, m'entendez, m'écoutez), les nuages blancs et vaporeux qui s'échappent de la montagne c'est votre âme, mon amour, en partance vers le ciel.

La toile émeri de votre barbe mal rasée irritait ma joue comme au premier jour de notre première étreinte. Vous êtes venu vers moi, racines nues, comme ces plans de rosiers que je venais d'acheter. Vous, le déraciné, moi l'insulaire. Je suis venue vers vous le cœur dénudé et l'âme offerte. Vous me fixiez avec une attention à la fois aiguë et détachée, tout autour de nous, une escouade de sons se distendaient et se resserraient en une étrange chorégraphie. La distance de nos âges nous rapprochait l'un de l'autre et la proximité de nos refus nous éloignait simultanément. »
Les grandes bulles rendent compte du déplacement d'air à grande échelle, alors que les vagues et les tourbillons à la surface d'une bulle traduisent un frémissement local.

Pour le premier mai, il lui avait écrit :

« C'est l'année ou jamais
Que chaque clochette te donne un sourire
Et plein de bonheurs. »

Une sirène de bateau retentit dans le lointain et, de sa fenêtre, elle voit le paquebot quitter le port. Mais elle ne peut occulter la vision qu'elle eut lorsqu'il arriva. Le premier jour.
Jusqu'au dernier jour.
« Vos yeux céruléens, mon bel ami, que j'aimais tant quand ils me regardaient m'habiller et déshabiller. Votre sourire en suspens. Mon émotion indicible lorsque je fus nue devant vous, et que j'entrepris de vous déshabiller à mon tour, émue, passionnée, tremblante, découvrant vos senteurs, me frottant à vos poils, ressentant un vertige lorsque je saisis timidement votre sexe alors même que je ne vous avais pas enlevé votre slip. »

Il se rappelle, malgré les ans, combien cette île lui parut sauvage. Elle se souvient, malgré les peines, combien elle aima lui montrer son île.
Emportés par le déferlement des vagues et les courants marins, les mots restent un court instant à la surface de ses pensées puis, telles les bulles qu'un film très mince allait séparer de l'atmosphère avant qu'elles n'éclatent, dégouttent le long de la frêle paroi de ses souvenirs.

Sous ses boucles très brunes un peu folles, aussi folle que l'était sa toison, son cerveau tout en circonvolutions, dévide l'écheveau de toute ces années de brouille et d'embrouille, de bruits et d'éclats, de fureur et de déchirure, d'opposition, d'incompréhension.

agenoux (Copier)



Le soleil découpe des tranches de vie sur la montagne. L'écume aux commissures des lèvres, les vagues, attendent le soir dans un délire de poudre aux yeux. De leurs voix éraillées aux accents dramatiques, elles racontent leurs faits et gestes de mythomanes.
- Qu'on fasse des vagues ou qu'on fasse des bulles, en définitive qu'en reste-t-il ?

Le saxophone de Paul Desmond se perd dans un brouhaha d'ondes, elle coupe le son et plonge dans ses pensées, se rappelant mille émotions découvertes grâce à lui.
- Que restera-t-il de tout cela ?

De fines gouttelettes de pluie glissent sur son front pendant que d'infimes frissons parcourent la surface de sa peau. La soirée sera fraîche bien qu'elle soit brûlante.
- C'est l'année ou jamais...
C'était l'année de tous les possibles. Ce fut celle de toutes les erreurs.  

 

Publicité
Commentaires
Publicité
Archives
Derniers commentaires
Publicité